La profession infirmière a su prouver son rôle essentiel au cœur du système de santé français, notamment pendant la pandémie de COVID-19. Pourtant, malgré une contribution largement reconnue, l’accès direct aux soins prodigués par les infirmières n’est toujours pas inscrit dans le Code de santé publique et cette absence interroge…

Dans le cadre des travaux analytiques nationaux et internationaux qu’il mène depuis 2020 et de sa mission d’avis au bénéfice du service public de la santé, le Conseil National Professionnel Infirmier (CNPI) propose une série de préconisations pour renforcer la place des infirmières généralistes dans le système de santé, en soutenant l’attractivité du métier et en adaptant les formations aux besoins actuels et futurs.

Connaissances et compétences versus durée de la formation initiale, première prise de poste une fois diplômée et maintien en exercice infirmier

Pour répondre à ces enjeux, le CNPI préconise d’augmenter la durée de la formation infirmière à quatre années universitaires (240 ECTS), pour un dispositif innovant tenant compte des constats d’abandon (durant les études ou dans les premières années post diplomation) et de durée moyenne d’exercice d’une infirmière diplômée. Cette proposition vise à renforcer le processus de professionnalisation et l’acquisition des compétences nécessaires en situations pour faire face aux défis de santé actuels (santé communautaire, vieillissement de la population, maladies chroniques, troubles psychiques, précarité, crises géopolitiques, climatiques et sanitaires etc).

En conformité avec la directive européenne (4600h), cette évolution s’inscrit dans un contexte européen où de nombreux pays forment les infirmières sur quatre ans selon différentes modalités sur lesquelles le CNPI préconise de s’inspirer pour restructurer le référentiel de formation français et prendre en compte les alertes de l’Union européenne sur son déficit actuel de 400 heures. Ce manque se fait particulièrement sentir dans des domaines comme la psychiatrie, la santé mentale, la pédiatrie et les soins critiques.

Outre la fonction tutorale à sanctuariser dans les milieux cliniques, le CNPI préconise une quatrième année de professionnalisation sur le modèle du « médecin junior » pour consolider l’apprentissage académique et pratique en milieux cliniques, leviers d’employabilité et de fidélisation. Une année supplémentaire offrirait une formation plus aboutie, permettant :
o aux étudiants 4ème année en statut « infirmière junior » d’appréhender les spécificités de milieux d’exercice vers lesquels se portent leurs souhaits d’orientation professionnelle,
o aux infirmières diplômées de jouer un rôle encore plus central dans l’éducation à la santé, les soins primaires et communautaires, la prévention des maladies et la promotion du bien-être, contribuant à réduire le nombre d’hospitalisations et de consultations médicales, ce qui engendrerait des économies significatives pour le système de santé et une optimisation de l’offre de soins en proximité dans tous les territoires.

Loi et décret d’application - Définition de la profession infirmière

Le CNPI souligne l’importance de conserver une réglementation de haut niveau pour encadrer l’exercice de sa profession de santé réglementée à ordre. Cela inclut de maintenir un décret en Conseil d’État pour définir les grandes missions des infirmières, corollaire d’une loi précisant des points centraux de la profession :
o Le rôle propre de l’infirmière, définissant son autonomie dans la mise en œuvre des compétences « cœur de métier » ;
o Un référentiel de formation décliné en fonction des domaines de compétences avec les activités et compétences requises pour la délivrance d’un diplôme réservant les interventions et gestes réglementés aux seules infirmières ;
o La dimension collective centrale en matière de santé communautaire et de prise en soins d’un groupe de population (santé publique/promotion de la santé/éducation) ;
o Une définition des Sciences infirmières regroupant les connaissances académiques, scientifiques, techniques, cliniques, éthiques et pratiques nécessaires à l’exercice.

Le CNPI préconise la création d’un accès direct aux soins infirmiers, reconnaissant les infirmières comme professionnelles de premier recours dans les soins de santé primaires. En l’inscrivant dans un nouvel article du Code de santé publique, on permettrait aux citoyen.nes de les consulter directement pour des interventions spécifiques, dans des domaines où elles ont développé des compétences.

Le CNPI préconise l’officialisation de la consultation infirmière, déjà en place dans plusieurs secteurs d’exercice mais encore limitée par des cadres réglementaires.

Missions de l’infirmière

L’actualisation des missions de l’infirmière fait partie du projet de loi et de décret infirmier. Parmi ses préconisations en la matière, le CNPI souligne le rôle clé des infirmières dans la transition écologique, enjeu de plus en plus important dans le secteur de la santé. En tant qu’actrices de proximité et par l’intégration des pratiques écoresponsables dans leur quotidien, elles contribuent à la durabilité du système de santé tout en sensibilisant les populations à ces enjeux.

Par ailleurs, les infirmières, qu’elles exercent en libéral ou en secteur salarié, sont souvent responsables de la gestion administrative, financière et organisationnelle, s’additionnant à leurs activités cliniques. Afin de soutenir ces responsabilités, il est crucial de renforcer ces compétences dès la formation initiale, et de les approfondir au cours de la carrière professionnelle.

L’encouragement à une approche collaborative et pluriprofessionnelle, notamment dans le cadre de réseaux de soins, est également fondamental. Cette dynamique permet de maximiser l’efficacité des soins tout en optimisant l’organisation des structures de santé comme l’accélération du virage domiciliaire.

Santé personnelle des infirmières

La santé des infirmières est un enjeu central pour la qualité des soins qu’elles prodiguent. Les niveaux de complexité des situations de soins et les risques liés aux conditions de travail sont des problèmes récurrents maillant la pratique infirmière. Le stress, les violences verbales et physiques, ainsi que les situations de harcèlement, sont souvent exacerbées par des conditions de travail difficiles.
Savoir reconnaître ces risques, savoir à qui s’adresser, et comment prévenir ces situations, fait partie des compétences socle que le CNPI souhaite renforcer dans la formation des infirmières.

Le CNPI insiste sur l’importance de promouvoir la santé personnelle des soignants dès leur formation initiale et tout au long de la carrière, tel qu’inscrit dans l’axe 4 de la certification périodique des professionnels de santé, stipulant l’obligation de maintenir et d’améliorer la santé personnelle des professionnels.
Parce que le sentiment d’appartenance et la capacité à se sentir « compétent et en sécurité » pour analyser, décider et effectuer les activités de soins dont on a la responsabilité en sont également partie prenante, l’année junior préconisée par le CNPI s’inscrit comme l’une de ces actions concourant à la santé personnelle de l’infirmière novice.

En synthèse, investir dans la formation des infirmières : pourquoi maintenant et comment ?

Les préconisations du CNPI, ont pour ambition, afin de réussir la transformation ciblée via la réforme réglementaire en cours, de faire notamment converger les dispositifs de formation initiale universitaire et d’adaptation à l’emploi :
o Répondre aux besoins de santé croissants des populations et des collectivités grâce à un parcours professionnalisant infirmier innovant, notamment de formation adaptée aux nouveaux défis, conçue en trajectoire ;
o Innover en matière de dispositifs professionnalisants par une conduite de projet systémique interministérielle, prenant en compte les étapes charnières d’investissement et de maintien à l’emploi notamment l’entrée en formation initiale et le séquençage jusqu’au diplôme, la période clé de la première prise de poste puis de la continuité du parcours professionnel.

Reconnaitre, développer et conserver les compétences infirmières en exercice complémentaires à celles des autres professions, autant de leviers pour cette réforme politiquement ambitieuse, garantissant dans tous les territoires l’équilibre d’un système de santé pérenne pour les générations futures.