Les besoins de soins en Santé mentale (englobant à la fois la santé mentale positive, la détresse psychologique réactionnelle et les troubles psychiatriques) se majorent année après année. Comme préconisé par le récent rapport du Conseil International des Infirmières « Lignes directrices sur les soins infirmiers en santé mentale (CII,2024) », de nombreux pays ont adopté un parcours de professionnalisation avec une formation initiale commune à toutes les pratiques, une année de spécialisation en santé mentale et le développement d’une pratique avancée infirmière en santé mentale.

« Investir dans le développement et le maintien de la main-d’œuvre infirmière en santé mentale, de son domaine de pratique et de ses compétences, ainsi que dans le bien-être des infirmières concernées : il s’agit aussi d’une nécessité pour bâtir un système de santé résilient et des communautés en bonne santé » (CII, 2024).

Le référentiel de formation 2009 exige un minimum d’un stage de 5 semaines dans le domaine de la psychiatrie OU de la santé mentale. Sous cette dénomination, il existe une grande variété de lieux de stages selon les différents lieux de formation. Ainsi, certains étudiants IDE arrivent à la diplomation sans jamais avoir pu rencontrer des personnes présentant des troubles psychiatriques et accompagnés spécifiquement sur ces troubles. Pourtant, les personnes souffrant de troubles psychiatriques sont suivies à près de 80% en ville ; elles peuvent avoir des comorbidités somatiques ; Chaque professionnel de santé est susceptible de prendre en soins ce type de population. En l’état, les étudiants IDE doivent se former aux techniques de soins utilisées dans les prises en charge spécifiques de Psychiatrie.

Dans le cadre de la refonte des activités/compétences infirmières et de la formation initiale, en appui des expériences professionnelles dans ces champs d’exercice, le CNPI est force de propositions.

1ère proposition : Penser de manière dissociée la santé mentale et la psychiatrie

Il convient de penser de manière dissociée la santé mentale et la psychiatrie dans la formation initiale infirmière. L’amalgame voire la confusion actuelle entre ces deux domaines peut conduire à ce que l’un des deux soit davantage enseigné au détriment de l’autre.
  La santé mentale se définit de manière positive comme un « état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté » (OMS, s.d.). La santé mentale concerne l’ensemble des individus, à tous les âges de leur existence. Nécessitant une constance adaptation, les évènements de vie et des facteurs individuels peuvent générer de la détresse psychologique réactionnelle, sans que celle-ci ne se manifeste forcément par un trouble psychiatrique.
  La psychiatrie, elle, désigne la prise en soins des troubles psychiatriques aigus ou chroniques qui compromettent la santé mentale ainsi que d’autres dimensions de l’individu, troubles qui supposent des soins spécialisés. Les troubles psychiatriques peuvent entrainer une souffrance, des ruptures de parcours de vie, des handicaps, des décès prématurés, de la stigmatisation et de l’exclusion.

Il convient de répondre au plus près des différents besoins populationnels observés, à savoir : développer la considération de la santé mentale dans la prise en soin globale de la personne et améliorer la formation infirmière afin d’optimiser le développement de connaissances et de compétences spécifiques associant les différentes approches contributives (notamment biomédicales, psychosociales et communautaires).

2/- Propositions pour l’enseignement de la santé mentale

  Enseignement devant faire l’objet d’une approche transversale, au cours de l’ensemble de la formation (dissociée de la psychiatrie), à côté d’autres concepts fondamentaux comme la santé, les réactions humaines d’adaptation, la douleur ou l’autonomie.
  Santé mentale abordée comme un élément incontournable dans toute démarche de soin et en tout lieu de soin.
  Santé mentale approfondie notamment dans des UE telles que la psychologie, les soins relationnels (avec des scénarii de simulation ad hoc), le service sanitaire (UE de santé publique), ainsi que dans toute UE relevant des sciences médicales, puisque toute affection de santé suppose une adaptation de la personne, entraînant une réaction au niveau de la santé mentale.
  Santé mentale en tant qu’objectif d’acquisition réflexive dans chaque stage : besoins de la personne soignée, stratégies d’adaptation observées, émotions présentes, capacités à faire face ; en regard, typologies d’interventions (notamment différents types d’entretiens dont relation d’aide,…), pour tout public auprès duquel l’ESI aurait alors à mener un travail spécifique relatif à la santé mentale, notamment dans une visée éducative et préventive.

Cette approche pourra également avoir pour avantage d’améliorer la prise en charge de la santé mentale en soins primaires, dans tous les lieux de pratiques afin d’orienter les personnes qui le nécessitent vers les soins spécialisés.

L’engagement de la formation dans cette dimension pourra également permettre :
  aux ESI d’être plus attentifs à leur propre santé mentale dans un contexte de professionnalisation exposant,
  une fois diplômés, d’appréhender de manière globale l’axe 4 de la certification périodique « Santé personnelle du professionnel » (cf. référentiel de certification périodique des professionnels de santé à ordres, 2014).

3/- Propositions pour l’enseignement de la Psychiatrie et les modalités de stages professionnalisants

L’articulation et le contenu des enseignements dédiés à la Psychiatrie pourraient
  être enseignés au cours des trois années de formation (contrairement à la formation actuelle où elle est enseignée en S2 et S5),
  être davantage abordés en lien avec les soins infirmiers spécifiques, en complément des pathologies, de la pharmacologie et de l’organisation des offres de soins spécifiques.

Le stage en psychiatrie permet la découverte d’un domaine méconnu, objet de préjugés potentiellement défavorables. Le stage de psychiatrie agit à la fois comme un outil de découverte mais également de déstigmatisation.

Pour que le stage soit professionnalisant dans le domaine de la psychiatrie :
  L’ESI doit rencontrer des personnes soignées qui ont un trouble psychique et qui bénéficient de soins psychiatriques adaptés à leurs besoins. Pour cela, ce stage est à réaliser auprès d’une équipe pluridisciplinaire mobilisant les ressources théoriques, les thérapeutiques médicamenteuses et les thérapeutiques non médicamenteuses (diverses psychothérapies et approches psychocorporelles, relation d’aide thérapeutique, …) relevant du soin en psychiatrie telles que recommandées par les données probantes.
  Les savoirs en psychiatrie doivent faire l’objet d’une approche spécifique. En complément des apports centrés sur les pathologies et la pharmacologie, les approches thérapeutiques autres que médicamenteuses ainsi que les interventions des professionnels de terrain expérimentés en exercice psychiatrique sont à développer dans la formation initiale.
  Les dimensions des soins infirmiers en psychiatrie et les interventions infirmières issues notamment des compétences du rôle propre doivent être identifiées et enseignées afin de promouvoir l’autonomie des futurs professionnels. Les compétences « cœur de métier » en psychiatrie doivent pouvoir être transmises et modélisées lors des stages en psychiatrie, en lien avec leur niveau de complexité.
  Les stages de psychiatrie doivent permettre l’acquisition de connaissances, des bases du soin relationnel et de la relation d’aide dispensées auprès de personnes présentant des troubles psychiatriques, ainsi que la compréhension des différentes thérapeutiques (médicamenteuses, non médicamenteuses).
  L’expérimentation par l’ESI du parcours de soin d’une personne concernée est également un élément important de la compréhension du soin en psychiatrie. Il est fréquent que le parcours de soins pour un même patient se déploie selon ses besoins en santé sur les différentes modalités de l’offre de soin : hospitalisation complète, hospitalisation à temps partiel, suivi ambulatoire, suivi au domicile du patient. Dans ce parcours de soin, la prévention et la réhabilitation psychosociale ont toute leur importance.
  L’ESI doit pouvoir appréhender la psychiatrie dans la construction historique de ce que recouvre la notion de « secteur », c’est-à-dire au-delà d’une unité fonctionnelle mais plutôt à l’échelle d’un territoire géo-populationnel tel que le prévoit la sectorisation psychiatrique. Les notions d’aller vers et d’accueil sont fondamentales. La psychiatrie s’inscrit pleinement dans toutes les dimensions de la prévention et de repérage précoce, la psychopathologie pouvant se développer à tous les âges de la vie.
  Il convient que l’ESI puisse identifier tous les partenaires participant au parcours de soins et de santé de la personne (la personne soignée ; les partenaires médico-sociaux ; les services de l’Etat – mairie, police, pompiers ; les familles et proches des patients ; l’éducation nationale ; les professionnels de santé - du secteur, ideL, pharmaciens, laboratoire, médecins traitants, etc….).
  L’ESI doit pouvoir rencontrer des situations de soins nécessitant une réflexion éthique et de mise en perspectives des droits des personnes soignées auxquelles les professionnels de psychiatrie sont particulièrement confrontés afin de pouvoir les appréhender et y participer (consentement au soin, libre arbitre, …).

Les stages de psychiatrie doivent avoir lieu dans les établissements publics ayant des secteurs de psychiatrie ainsi que les établissements privés spécialisés dans les soins psychiatriques, notamment :
o Unités d’hospitalisation complète en psychiatrie
o Unités d’hospitalisation à temps partiel (HDJ)
o Unités de soins en ambulatoire CMP, CATTP,
o Equipe de psychiatrie de liaison, équipes mobiles de crise, de réhabilitation psychosociale
o Service d’urgences psychiatriques
o USIP, UD, UHSA
o Appartements thérapeutiques.

Par ailleurs, les infirmiers débutants, à défaut d’une année de spécialisation, doivent impérativement bénéficier de manière systématique, lors de leur prise de fonction en psychiatrie, d’une consolidation de ces savoirs fondamentaux et d’un accompagnement clinique dans la mise en œuvre opérationnelle de ces derniers, gages de professionnalisation, d’attractivité et de fidélisation. Cet accompagnement peut s’opérationnaliser notamment en appui avec l’organisation du compagnonnage infirmier et du renforcement en formation ciblée.

Comme en tout lieu de stage, la fonction tutorale revêt une importance particulière dans ce cadre. C’est une activité infirmière en soi. Les tuteurs doivent être des professionnels expérimentés dans la discipline dans laquelle ils exercent et spécifiquement formés à cette fonction pédagogique. Au niveau institutionnel, cette fonction doit faire l’objet d’une valorisation et d’un temps dédié. Ces exigences doivent pouvoir s’appliquer à toute fonction tutorale sur l’ensemble des stages de la formation en soins infirmiers.

Le renforcement de la collaboration entre les formateurs et les tuteurs est un élément favorable à la cohérence des parcours de professionnalisation des ESI.